L’«imputabilité» au pays du «no fault» - Antoine Robitaille

Antoine Robitaille Antoine Robitaille Jeudi, 20 août 2020 05:00

Le mot-clé du plan Legault pour une éventuelle deuxième vague de la COVID est « imputabilité ».

Désormais, il y aura, dans ces endroits où la pandémie fit des ravages, les CHSLD, un gestionnaire responsable, donc « imputable ».

L’idée semble couler de source. Le Québec semble parfois souffrir d’un syndrome « sans égard à la responsabilité », selon l’expression consacrée par notre assurance-automobile (ce fameux « no fault » qu’aime tant railler le collègue Michel Hébert).

Vieille idée

Il y a longtemps que François Legault rêve d’imputabilité dans le réseau. Ministre de la Santé en février 2002, il disait vouloir exiger « une plus grande imputabilité de tout le monde ».

Ainsi, « dorénavant, si les urgences d’un hôpital débordent, ce n’est plus le ministère de la Santé qu’il faudra montrer du doigt, [mais] le directeur de l’établissement et la régie régionale concernée ».

Il fallait « que tout le monde performe bien », renchérissait Legault. Pour ce faire, le gouvernement devait se donner une « poignée » lui permettant, « quand quelqu’un ne performe pas bien, de retenir temporairement le financement ».

C’était peut-être une bonne idée. Manifestement, il n’a pas eu le temps de l’adopter. Le PQ fut battu un an plus tard.

Mais au paradis du « no fault », aurait-il pu l’appliquer ? L’ancien ministre de la Santé libéral Gaétan Barrette aussi voulait se donner une « poignée » pour forcer les acteurs centraux du réseau, les médecins, à agir. Les « carottes » (hausses salariales) n’avaient pas permis d’améliorer leur productivité, il fallait maintenant insérer des « bâtons » dans les lois 10 et 20. Vous faites ça, sinon...

Quand vint le temps d’utiliser les fameux bâtons, Barrette fut mis de côté.

Responsabilité

Le discours de l’imputabilité est à double tranchant. Lorsqu’on insiste sur celle des autres, il faut aussi être prêt à assumer la sienne. Cohérent, François Legault admet certains faux pas : ne pas avoir haussé plus vite le salaire des préposés aux bénéficiaires, par exemple. Lorsqu’il défend sa gestion de crise toutefois (comme hier aux crédits), la fameuse « semaine de relâche québécoise », source de contamination, a un peu le dos large, non ?

On a hâte de voir les résultats de l’enquête de la commissaire à la santé. Reste que les Québécois, pour l’instant, estiment que leur premier ministre s’en est bien sorti dans des circonstances extrêmes.

Par ailleurs, les gestes du premier ministre nous indiquent qui il tient pour imputable : il a complètement changé la direction du ministère de la Santé : la ministre Danielle McCann, la placide anti-Gertrude-Bourdon de la campagne électorale, fut mutée en raison de son manque de mordant.

Christian Dubé hérita du portefeuille et travaille désormais main dans la main avec la sous-ministre Dominique Savoie. Quel paradoxe quand même. En 2016, lors de la crise au ministère des Transports où Mme Savoie officiait, les caquistes, Éric Caire et François Legault en tête, la traitaient d’incompétente et réclamaient son congédiement définitif. Il fallait qu’elle soit « imputable » de tout ce qui était croche au MTQ.

Curieux tout de même que cette réhabilitation spectaculaire, par les mêmes élus qui comptent faire de l’imputabilité des gestionnaires un principe cardinal.

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