Antoine Robitaille Samedi, 23 février 2019 05:00
La pagaille à l’Assemblée nationale, trois semaines après le début de la session, ce n’est certes pas uniquement la faute du gouvernement.
https://www.journaldemontreal.com/2019/02/23/legault-avait-promis-de-ladhesion
Les libéraux ont leur part de responsabilité. D’abord sonnés d’avoir perdu le pouvoir, ils se sont, ces derniers temps, tranquillement déprogrammés de leurs anciennes habitudes de communication, marquées par l’extrême prudence des gouvernants.
Depuis, ils redécouvrent l’aspect défoulant du travail d’opposition : questionner, soupçonner, fustiger, accuser, pourfendre, etc.
Trop
Parfois, ils vont trop loin, et de l’avis même de plusieurs au sein des troupes libérales.
Comme ce point de presse — le plus rigolo de la semaine — où l’ex-ministre de la Condition féminine Hélène David a, de manière chevaleresque, pris la défense du gaillard Enrico Ciccone, ancien joueur de hockey et député de Marquette, contre la ministre déléguée aux Sports, Isabelle Charest.
Cette dernière, à la période de questions, s’était — encore une fois — montrée malhabile, soutenant de manière ambiguë que l’ancien joueur de hockey n’était «pas habitué à se faire dire non» ; pour ensuite exprimer son «empathie» à l’égard des séquelles de commotions cérébrales subies par l’ex-hockeyeur.
Cherchant à monter en épingle le faux pas, Mme David a convoqué les médias, a crié au sexisme, voire à la misandrie. Mais questionnée, elle a semblé à court d’arguments : «Je ne le sais pas. Moi, je trouve que dit de même, là, ce n’est pas bien, bien le fun.» La vacuité non plus n’est pas très l’fun...
Trop pressé
Attention : le gouvernement Legault a évidemment une grande responsabilité dans les rififis actuels.
Il est manifestement trop pressé. Il cherche à bousculer le parlement. À la consultation parlementaire sur le cannabis, mais aussi celle sur l’immigration, les membres du gouvernement, Lionel Carmant et Simon Jolin-Barrette entre autres, manquent d’égards pour les participants qui critiquent leur projet de loi.
On comprend le calcul de l’équipe Legault. Elle veut se débarrasser en début de mandat de ses promesses les plus épineuses (immigration, signes religieux, pot à 21 ans, maternelles 4 ans, etc.).
L’échéancier des élections fédérales, aussi, pousse à une action précipitée. Après le scrutin du 21 octobre, quel sera le rapport de force de Québec face au gouvernement central?
Contre-exemple de Charest
On a parfois l’impression que François Legault, en clamant, parce qu’il a fait élire 75 députés, qu’il se fera «têtu» sur certains enjeux, pourrait être en train de rééditer l’erreur de Jean Charest de 2003.
«On a reçu un mandat très clair, très solide, de la population pour faire un certain nombre de changements», martelait le chef libéral lors des premières manifestations contre ses engagements.
Or, dès février 2004, voyant sa chute dans les sondages, M. Charest avait totalement changé de discours et se proclamait alors «un apôtre de la consultation publique».
Malentendu démocratique
François Legault avait pourtant présenté son conseil des ministres, le 18 octobre, en s’engageant à la souplesse : «On pourrait être tentés de gouverner comme bon nous semble, mais, au contraire, je vous demande de gouverner en obtenant l’adhésion du plus grand nombre. [...] Il ne suffit pas de décréter.»
À la décharge du premier ministre, il y a de nos jours une sorte de malentendu démocratique.
L’équipe qui accède au pouvoir croit avoir obtenu un mandat pour remplir ses promesses... alors que, souvent, elle doit d’abord et avant tout son élection à une minorité et au «dégagisme», à cette volonté de changer l’équipe au pouvoir.
D’un autre côté, il faut l’admettre, on est de plus en plus sévères avec les politiciens quant à la réalisation des promesses. Des universitaires calculent même en temps réel le pourcentage de ces promesses réalisées (voyez notamment le Polimètre Legault à l’Université Laval).
Susciter l’adhésion, dans un tel contexte, tout en tentant d’appliquer l’ensemble d’un programme, devient une tâche infinie, un défi quasi impossible à relever.